Quand l’occident et l’orient se rencontrent
Lorsque les premiers voyageurs occidentaux ont mis les pieds en orient, ils ont découvert des peuples possédant une culture très différente de la leur.
Cela est aussi vrai pour l’art martial oriental qui obéit à une construction toute autre que son cousin occidental.
D’une manière générale, ce dernier est habitué à affronter son adversaire de face, avec les poings pour la boxe anglaise, la savate (boxe française) ajoute des techniques de pieds et la lutte greco-romaine pose les bases du corps-à-corps. Pour le maniement des armes, on pensera à l’escrime européenne. Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive.
Et voici que les combattants de l’ouest découvrent que leurs collègues asiatiques utilisent un jeu de jambes totalement différent, combattant aussi bien de face que de profil, voire parfois en arrière.
Si le poing existe aussi en orient, il est utilisé d’une toute autre manière, de même que la main en général qui frappe avec la paume, le tranchant, les doigts ou qui reproduit les appendices d’’animaux réels (bec de la grue, patte de léopard, griffe du tigre, etc.) ou légendaires (griffe du dragon).
La savate mise-à-part, peu d’art-martiaux occidentaux privilégient les techniques de pieds, alors qu’il existe un grand choix de techniques de coups de pieds en orient.
De leur côté, les maître orientaux ont pu découvrir un art-martial occidental très direct et diablement efficace, taillé sur mesure pour des individus dont la plupart sont plus grands et plus puissants que l’oriental moyen de cette époque.
Le métissage des arts martiaux
Ces rencontres interculturelles martiales ont donné vie à deux courants.
D’un côté, on retrouve les « traditionalistes » qui ont continué à enseigner leur art avec la volonté de le garder le plus pur possible.
De l’autre, on a les « pionniers », des curieux qui ont commencé à étudier l’art martial étranger pour finalement intégrer ses mouvements inédits à leur propre pratique.
A noter que les pionniers ont toujours existé et qu’ils sont responsables de l’évolution ou la création de bien des techniques de combats.
En effet, sans sortir des frontières du pays, il était déjà possible de rencontrer une personne pratiquant le même art que le vôtre mais dans un style totalement différent ! La Chine comptait des centaines de style de kung-fu avant les guerres mondiales.
Toujours avant la découverte de l’occident, les pays orientaux avaient déjà confronté et échangé leurs techniques martiales respectives, permettant une évolution et un enrichissement mutuel.
Toutefois, la rencontre des occidentaux a bouleversé bien des codes existants à l’époque, donnant naissance à ce qu’on appellera les « arts-martiaux sportifs ».
C’est notamment le noble art (boxe anglaise) qui va le plus imposer ses codes de combat : la posture ¾, son jeu de jambe, combattre de face et surtout, l’emploi des gants de boxe.
Certains arts traditionnels vont alors adopter ces codes pour évoluer ou donner naissance à un nouveau style.
Comme évolution, on pense naturellement au Muay Boran (ancienne boxe), art martial thaïlandais spécialisé dans l’utilisation des coudes, des genoux et ses redoutables techniques de jambes qui utilisent les tibias.
Il va évoluer en Muay Thaï (boxe thaïlandaise) qui va garder les techniques de coudes et genoux et la frappe avec les tibias mais qui va recouvrir les bandages traditionnels par des gants de boxe. Les techniques de poings seront d’ailleurs désormais issues de la boxe anglaise.
Le Kick-boxing américain est un exemple de nouvel art-martial créé à partir du mélange des techniques occidentales et orientales. Comme pour le Muay Thaï, les techniques de poings viennent de la boxe anglaise, tandis que les frappes des jambes, genoux et coudes viennent du Karaté.
Le Wushu sportif
Comme ses confrères Thaïlandais et Japonais, l’art-martial Chinois à lui aussi connu un métissage avec les techniques de la boxe anglaise.
Ainsi sont nés le Sanda (combat dur) et son petit frère le Qingda (combat léger sans droit au k.o.) qui utilisent des gants de boxe et des mouvements de poings issu de la boxe anglaise (encore elle !).
Toutefois, à la différence du Kick-boxing américain, en plus des coups de pieds et de certaines frappes héritées du Wushu, le Sanda et le Qingda ajoutent la possibilité de projeter son adversaire.
Les combats se déroulent soit sur une surface délimitée par des tatamis pour le Qingda, soit sur une petite estrade (comme un ring mais sans corde) pour le Sanda.
La victoire en Qingda s’obtient en marquant plus de points que son adversaire (c’est-à-dire en le touchant plus souvent que lui même ne vous atteint), on peut aussi gagner en le faisant reculer hors de la surface de combat.
Un combat de Sanda se remporte aussi aux points, mais également par k.o, ou en projetant l’adversaire hors de l’estrade.
Le Sanda provient d’une tradition ancienne dans laquelle les adversaires s’affrontaient sur une estrade en bois, parfois haute de plusieurs mètres (cette pratique est représentée dans le film « Le maître d’armes » avec Jet Li »).
Avant de combattre, les opposants devaient signer un formulaire déchargeant l’organisateur de toute responsabilité en cas de blessure grave ou de décès de l’une des deux parties.
L’art martial sportif cherche à perpétuer cette tradition mais dans un cadre protégé, permettant aux combattants de s’affronter en toute sécurité.
Ainsi, l’estrade n’est pas trop haute et ses abords sont recouverts de tapis destinés à absorber l’impact des chutes.
Les combattants de Qingda/Sanda sont désormais protégés, en plus des gants de boxe, par un casque, un plastron et des protèges-tibias.
Le Wushu traditionnel
Le Wushu traditionnel possède des techniques de mains qui pour la plupart sont inutilisables avec des gants de boxe (notamment les saisies).
De même que les protections gêneront l’apprentissage de postures aussi diverses que variées (croisées, basses, sur une jambes, etc) qui permettent de combattre autant de face, que sur les côtés, voire en arrière.
Les frappes suivent des enchaînements qui sortent complètement de la logique gravée dans l’esprit occidental.
Il existe une quantité impressionnante de styles traditionnels dont chacun possède sa propre logique et doit donc faire l’objet d’un apprentissage à part, lequel durera plusieurs années.
Il est donc impossible de maîtriser tous les styles de wushu existants, une vie n’y suffirait pas. Toutefois, on retrouve quand même des bases communes qui relient les wushus traditionnels et sportifs entre eux.
Entre tradition orientale et sportivité occidentale
En occident (et peut être dans l’orient moderne), il arrive fréquemment qu’on divise l’enseignement en deux parties distinctes ; le traditionnel et le combat sportif.
Le travail traditionnel regroupe l’étude des positions et déplacements, les techniques pieds-poings, le chin-na (saisies et projections), les jibengongs et les taolus à mains nues ou avec armes
L’étude de combat se base elle sur les mouvements issus du Qingda/Sanda qu’on effectue avec ou sans protection (échange technique).
Or, si on retrouve un tronc commun entre le traditionnel et le sportif, il s’agit bien de deux arts martiaux distincts.
Si je respecte ce choix d’enseignement, je regrette de voir des étudiants apprendre des mouvements martiaux inhérents à un art, pour finalement utiliser ceux d’un autre en étude de combat.
En effet, les jibengongs ne représentent pas qu’un travail physique, leur rôle véritable est d’enseigner une technique pouvant être utilisée en combat.
De même que les taolus ne sont pas qu’une chorégraphie martiale que l’on présente à un jury, lequel va noter la qualité des gestes et leur côté spectaculaire.
Il s’agit bel et bien d’une méthode de combat dont la logique et la construction diffèrent de la boxe occidentale, mais dont l’efficacité est bien réelle.
Cela étant, il ne suffit pas de savoir à quoi sert un jibengong ou un enchaînement extrait d’un taolu, il faut le travailler longuement pour être capable de le placer en étude de combat.
Voilà pourquoi, selon mon opinion, apprendre le combat traditionnel est plus difficile et plus long pour un occidental qui a inconsciemment été conditionné à la boxe occidentale.
Qu’en est-il de l’enseignement de l’école des 5 montagnes ?
Notre école prône un enseignement traditionnel et c’est dans cette optique que je cherche à enseigner les déplacements (jeu de jambes), postures, frappes, chin-na, jibengongs et taolus, dans le but que mes élèves soient capables de les utiliser en étude de combat.
Rien de pire pour moi qu’un/e élève qui exécute parfaitement un jibengong/taolu, mais qui n’a pas la moindre idée de son application martiale.
Cela étant, je ne dénigre en rien le Qingda et le Sanda, ayant moi-même pratiqué la boxe thaïlandaise et anglaise pendant plusieurs années. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé la boxe anglaise et aurai souhaité continuer sa pratique si le temps ne m’avait manqué.
Pour cette raison, le Qingda et le Sanda sont aussi proposés dans notre école, d’abord en initiation, puis sous la forme d’un cours à part, une fois que l’élève a acquis des bases suffisamment solides dans le style traditionnel, pour pouvoir étudier un autre art en parallèle (dès la 3ème année).
Le combat sportif fait partie intégrante du Wushu, il serait donc dommage d’en priver nos élèves, surtout pour celles et ceux qui désireraient participer à des tournois.
L’idée étant qu’au final nos élèves soient capables d’utiliser le traditionnel comme le sportif en étude de combat.
Prenez soin de vous
Shifu Mike